Pourquoi un Gautreau Camerounais ?
En 1967, plein d’idéalisme et d’insouciance, je décide de partir au Cameroun comme volontaire du progrès, pour aider ce pays en voie de développement. Le Cameroun situé en Afrique de l’Ouest, entre le golf de Guinée et le lac Tchad, est un résumé de l’Afrique, au point de vue géographique, climatique, ethnique, économique, folklorique, voire politique.
A mon arrivée je suis affecté dans le Sud, à Nkondjock, choisi pour devenir le centre de l’opération Yabassi-Bafang. Celle ci consiste à déplacer des populations volontaires provenant d’une zone surpeuplée des alentours de Bafang (150 à 200 habitants / km²) vers une région distante d’une cinquantaine de km où la densité de population n’est que de 3 à 5 habitants /km2. Là, le niveau de vie peut être meilleur en cultivant en plus des cultures vivrières, le caféier et le cacaoyer. Mais cette terre d’accueil n’est pas un éden ; aucune route d’accès ; pas d’infrastructure ; un climat équatorial (il y tombe 4 mètres d’eau par an). La maladie du sommeil, le paludisme, la bilharziose, les serpents, etc. y font des ravages. Il faut domestiquer la foret vierge.
Le petit village de Nkondjock, dont le nom dans la langue locale signifie « pays des éléphants » ne compte à cette époque que quelques centaines d’habitants qui n’ont pour la plupart jamais ou rarement vu de « blanc ». Ces autochtones vivent dans des cases faites de carbotes : planches de bois assez régulières en épaisseur, mais non délignées, obtenues en fendant le carbotier avec des coins en bois. La toiture est composée de feuilles de palmiers tressées. Leur subsistance est assurée par la culture des arachides, de l’igname, du taro, du macabo et de la cueillette des fruits : oranges, safous, papayes, bananes. Les protéines animales sont essentiellement fournies par la chasse (singes, éléphants ) ou la volaille. Les bovins et équidés sont exclus pour cause de maladie du sommeil.
Tel est le cadre de vie que je trouve à mon arrivée à Nkondjock, ainsi qu’une case sans grand confort ! Qu’importe, je suis à pied d’œuvre et tout reste à faire. Je suis accompagné par d’autres volontaires, français et allemands. Nous sommes tous conscients de construire un avenir nouveau aux pionniers comme aux autochtones. Nous entreprenons l’un, de monter une menuiserie, l’autre, de faire des essais de nouvelles cultures vivrières ou industrielles (maïs, ananas). Une infirmière crée un dispensaire et assure l’initiation sanitaire des femmes. Plus tard les chinois qui nous ont rejoints mettent en place la culture du riz. Quant à moi, j’assure la partie technique : construction du garage pour l’entretien des camions, voitures, mobylettes, tronçonneuses, etc. Puis j’installe l’eau ainsi qu’une mini centrale électrique avec deux groupes d’un total de 60 kVA, qui permet d’alimenter le village en électricité. Je dirige également, du moins en partie, la construction des cinq premières cases en dur (toujours uniques à ce jour). Le tout grâce à l’aide conséquente de la coopération française et du fond européen de développement.
Pour m’aider dans ces différentes tâches, je recrute des apprentis et les forme pour qu’à mon départ ils puissent me remplacer et assurer l’entretien du matériel afin que les installations survivent durablement. Pour n’en citer que quelques uns, Titi-Jean devient bûcheron, Abel Mbang et Marc Tchahou apprennent la mécanique, Jean-Paul Irock l’électricité.
Au bout de mon contrat de deux ans, je quitte Nkondjock plus développé et devenu sous préfecture. J’y laisse de nombreux amis avec qui j’ai vécu des moments plus ou moins faciles. Je pars pour le Nord du Cameroun pour travailler dans une usine de coton.
Le temps passant nos relations s’estompent. Mais des années après je pense toujours a ceux qui sont restés dans leur village et souhaite les revoir, principalement Marc dont j’ai pu apprécier les qualités.
En février 2002, je décide avec Nicole mon épouse, Astrid ma nièce et J-Richard un ami, de repartir pour le Cameroun pour revoir Nkondjock et les personnes avec qui j’avais travaillé. Je veux aussi savoir ce qu’il est advenu de mon travail et de celui de mes collègues, trente ans après notre départ. Je crains secrètement de ne reconnaître personne et de trouver toutes les installations « gâtées » ( terme couramment utilisé par les Africains, signifiant détérioré, hors d’usage).
En arrivant à Nkondjock par une piste en plus mauvais état que nous l’avions laissée à notre départ, en un mot « défoncée » (plus de 2 heures en 4x4 pour 50 km), je ne reconnais plus les lieux où circule beaucoup de monde dans les rues. Je décide alors de m’adresser à un groupe d’hommes et là... surprise ! La première personne qui s’approche de nous, n’est autre que Marc. Je le reconnais. Je lui dis que lui aussi me connait. A ce moment il comprend qui je suis et me tombe dans les bras en prononçant mon nom. Les retrouvailles sont émouvantes. Abel était aussi présent. Quel hasard ! D’autres personnes qui ont assisté à la scène ont tout compris. La nouvelle du retour du « Blanc » au pays circule vite. Dans les minutes qui suivent nombreux sont ceux qui viennent me revoir et me saluer : Boubou devenu chef coutumier, Tchugoué Damase adjoint au maire, J-Paul Irock agriculteur, le responsable de la nouvelle centrale électrique qui était gamin à l’époque de ma présence à Nkondjock mais qui m’avait vu vivre parmi eux, etc. Chacun raconte sa vie passée et présente, ses difficultés à survivre depuis le départ des Européens et l’arrêt de l’aide de la coopération. Presque tous se retrouvent sans travail, donc sans revenu.
Marc m’informe qu’il s’est marié quelques années après mon départ, qu’il a huit enfants et qu’il a pré-nommé son premier fils « Jean Gautreau » en l’honneur de celui qui lui avait appris son métier. C’est ainsi que le nom des GAUTREAU est arrivé dans un village du Sud Cameroun, au beau milieu de la forêt équatoriale.
Depuis Jean Gautreau Tchahou a passé son bac et travaille maintenant dans une petite entreprise de Douala. Il rêve d’étudier l’informatique. Hélas, il n’en a pas les moyens financiers car il doit, en bon aîné, aider ses parents quasiment sans ressources et payer les études de ses frères et sœurs.
Les sachant méritants, nous essayons, Nicole et moi de les aider dans la mesure de nos possibilités. Nous soutenons actuellement la scolarité du second fis, Henri, en 3ème année d’électricité. Nous pensons que la meilleure solution pour eux, est qu’ils apprennent un métier avec qualification, afin qu’il puissent obtenir un bon emploi dans leur pays. Bientôt ce sera le même souci pour Clarisse, Béatrice, Patrick, Flore, Vanessa et Yolande. Si nous en avons les moyens, nous continuerons de les aider.
Quant à Marc, nous allons essayer de lui faire parvenir un moulin à farine, pour le maïs. Cela devrait lui permettre de gagner environ 1000 Francs CFA ( 1,5 euros) par jour et ainsi d’améliorer la vie de sa famille.
Le moulin est arrivé... les études reprennent
Comme promis à nos amis Camerounais : Marc, Pauline et leurs enfants (dont Jean Gautreau Tchahou), lors de notre voyage précédent, je me suis employé pendant plusieurs mois à trouver un moulin à farine d’occasion et à le préparer de mon mieux. Puis en mars 2003, accompagné de Nicole et d’un ami J-Richard, nous embarquons pour le Cameroun chargés comme des mulets par ce fameux moulin de 80 kg. C’est dire s’il restait peu de bagages personnels pour le voyage !
Quant au moteur électrique, il ne nous reste qu’à le récupérer à notre arrivée à Douala, car il nous est offert par la société LEROY-SOMER d’Angoulême, qu’ici je remercie vivement.
L’accueil est tel que prévu. Jean Gautreau Tchahou, qui a réussi à obtenir quelques jours de congé, nous attend à l’aéroport avec l’un de ses oncles possédant un taxi. Il nous faut acheter le fil et le disjoncteur nécessaires à l’installation, l’alimentation électrique devant s’effectuer chez le voisin de Marc. La distance de raccordement variant au cours de la discussion de 10 à 30 mètres, nous décidons par sécurité, d’acheter 40 mètres de fil.
Le voyage vers N’Kongjock s’effectue sans problème La piste a été refaite pour permettre aux grumiers d’extraire de magnifiques troncs d’arbres plus que centenaires. La forêt dite « vierge » est pillée et n’est plus que l’ombre d’elle même. Nous avons de la peine à la voir ainsi.
A N’Kondjock, après les retrouvailles toujours aussi émouvantes, nous nous mettons au travail : déballage, triage, puis assemblage des différentes pièces. La recherche du moindre morceau de bois pour la fabrication d’un support pour recevoir le moulin et le moteur nous prend déjà beaucoup de temps. Puis tentative de branchement électrique chez le voisin qui, hélas est à plus de 50 mètres !... Et Impossibilité de trouver du fil électrique. Nous pensons alors à effectuer les essais chez un autre ami, Abel N’Gueta qui possède un garage de l’autre coté de la route, et transportons toute notre installation sur une remorque à vélo. Mais il n’y a que des épis de maïs à moudre !. Qu’importe, nous nous mettons tous à égrener ceux ci et pouvons enfin procéder aux essais. Quel plaisir de voir les yeux émerveillés de la vingtaine de personnes qui a suivi l’évolution du travail, non sans perplexité. Le réglage du moulin commence. Il faut faire de la farine plus fine, encore plus fine dit Pauline, la femme de Marc, et elle s’y intéresse à ce moulin : c’est elle qui va en avoir la responsabilité et le revenu pour améliorer le sort de la famille. Je lui en explique le maniement, les réglages et les anomalies qui peuvent éventuellement survenir. Je simule des pannes et lui apprend à y remédier. Elle semble consciente que la durée de vie de l’ensemble est entre ses mains et que l’entretien est primordial.
Pour le problème électrique, nous décidons de nous adresser illico à la « Sonel » (agence nationale d’électricité) pour obtenir un devis de branchement. L’agent contacté nous donne un prix qui fluctue, toujours à la hausse, quand il comprend qui va payer... De plus il tempère notre ardeur en prévenant que cela ne peut pas se faire rapidement car leur groupe électrogène est à bout de souffle et déjà surchargé ; qu’il faut attendre du nouveau matériel ; que l’accord de ses supérieurs devra être acquis, etc. etc.
Marc est très déçu, car nous comprenons alors que nous allons repartir avant que son « bijou » comme il le dit, ne soit vraiment opérationnel. Quoiqu’il en soit, le plus difficile est réalisé et nous lui laissons l’argent qui sera nécessaire au raccordement électrique dans un avenir relativement proche. Quelle naïveté ! A ce jour ([NDLR] 2004) rien n’a changé. Soyons patient. Le principal n’est-il pas que l’argent soit encore là pour brancher un jour ce moulin ?
Quant à Jean Gautreau Tchahou, il a abandonné l’idée de poursuivre des études d’informatique pour celles de commerce qui lui paraissent plus porteuses à l’avenir dans le monde du travail local. Notre acquiescement est total et nous payons son année scolaire d’étude supérieure à Douala. Jean, que nous avons appris à connaître et à apprécier pendant notre séjour, nous semble vraiment mériter d’avoir un petit « coup de pouce » de notre part (sans prétention aucune).
Là se termine la petite « Saga » du Gautreau Camerounais pour le « Trait d’union ». Peut être avez vous été plus interloqués qu’intéressés ? Pour notre part nous n’excluons pas d’autres voyages là bas, pour continuer à aider nos amis dans la mesure de nos possibilités.
Bien amicalement à tous.
Votre cousin, Jean Gautreau, La Couronne, Charente, France