Jean Gautreau « n’aime pas suivre les
chemins ». De fait, le propriétaire du
château Sociando-Mallet, à Saint-Seurin
dans le Haut Médoc, a souvent choisi de
s’aventurer hors des sentiers battus, quitte
à passer pour un provocateur dans le petit
monde du vin.
Ne connaissant rien de la culture de la
vigne, il achète un domaine et s’improvise
vigneron. Les vignes qui y sont cultivées
produisent un vin classé dans la catégorie
prestigieuse des crus bourgeois.
Qu’importe :Jean Gautreau prend le parti
de ne pas faire apparaître cette mention
sur ses bouteilles. Et le voilà aujourd’hui, à
la tête d’un château jouissant d’un prestige
conséquent parmi les vins du Médoc.
Certains critiques n’hésitant pas à répertorier
Sociando-Mallet dans la catégorie
des vins « cru classé assimilé ».
« Je n’y connaissais rien »
Curieux parcours pour cet homme de
82 ans, né à Lesparre, en plein coeur du
Médoc. Fils unique d’un agent d’assurance,
Jean Gautreau suit une scolarité médiocre
jusqu’au baccalauréat, qu’il n’obtiendra
pas. Après avoir travaillé « par hasard »
pour la société de courtage Miailhe pendant
dix ans, il se lance en 1958 dans le
négoce en créant sa société à Lesparre.
Celle-ci prospère rapidement en vendant
le vin de Bordeaux au Pays-Bas et en
Belgique. « Là-bas, les gens buvaient du vin
de table. Il y avait un marché à créer pour
les bordeaux », se souvient-il.
En 1969, un de ses clients belge désire
acheter une propriété dans le Médoc. Jean
Gautreau prospecte et découvre le
domaine de Sociando-Mallet : 5 hectares
de vignes, quelques bâtiments laissés à
l’abandon et surtout cette vue inestimable
sur l’estuaire de la Gironde, dont il tombe
amoureux : « Je n’avais aucune idée de la
manière de produire du vin. J’ai eu le coup
de coeur pour la propriété que j’ai acquise
à la place de mon client ».
En 1970, en construisant à la hâte deux
cuves en ciment, il improvise une première
cuvée « pas trop mal ». L’expérience le
convainc. Il s’entoure de spécialistes et
achète des parcelles : aujourd’hui
Sociando-Mallet produit 500 000 bouteilles
sur 85 ha et compte 50 salariés.
Marketing et terroir
À l’encontre du bon sens, à partir d’une
« prémonition », il entreprend de ne pas
imprimer sur l’étiquette de son vin la mention
« cru bourgeois ». Il mise sur la qualité
de sa production considérant que ses
vertus gustatives suffiront à se tailler une
solide réputation. Et en 2003, lorsque le
classement des crus bourgeois est réorganisé
( I ), il refuse d’y participer. L’affaire fait
grand bruit « Je me sentais assez fort pour
me passer de ce classement, et en plus je
sentais que cela allait semer la zizanie dans
le Médoc », dit-il.
Une attitude tout à son honneur qui n’est
cependant pas dénuée de visées commerciales
: le fait d’être « ni classé, ni cru bourgeois
» est devenu un slogan du château,
un argument de vente figurant sur son site
Internet, renforçant la réputation d’un vin
dont la qualité n’est plus à démontrer. Du
bout des lèvres, il reconnaît que « d’un
point de vue ’vicieux’ j’ai pensé que le fait
de ne pas se présenter au classement me
ferait de la publicité, en tout cas plus de
bien que de mal ».
De là à s’imaginer que Gautreau, dont le
nom apparaît en évidence sur ses bouteilles,
est un as du marketing, n’exagérons
rien... Lui-même l’affirme : « Mon succès,
je le dois plus au terroir qu’à mon talent
personnel ».