François GODREAU naît donc le 17 mars 1818 à St MESMIN. Son père ne sait pas signer, note Monsieur NAU, maire. Mais il faut observer que cette situation est celle de l’immense majorité des habitants. Très peu d’écoles encore à cette époque. Il faudra attendre la moitié du XIXième siècle pour qu’un mouvement se crée autour de l’enseignement, qui amènera à l’institution de l’école obligatoire de Jules FERRY en 1871.
Celui-là sera comme les autres : journalier, domestique. Nous le retrouvons domestique à la Bédinière de St MESMIN.
Et puis le voilà jeune homme. Est-il appelé à faire son service militaire ? Probablement pas, car dans ce temps-là le service dure 7 ans et il se marie à 25 ans. On procède en ce temps au tirage au sort, celui sur qui tombe la malchance part pour un septennat, à moins ... qu’il puisse racheter ce service et faire partir quelqu’un d’autre à sa place. L’historien Augustin HERAULT nous dit que vers 1850, le service se "rachetait" pour un peu moins de 2 000 F., et que même des domestiques se saignaient aux quatre veines pour racheter plutôt que de partir.
François va trouver femme à St MESMIN, en la personne de Perrine MERLET, d’un an son aînée. Ils se marient le 8 septembre 1841 à la mairie de POUZAUGES. Pourquoi POUZAUGES ?
Nous le retrouvons bientôt à REAUMUR, où naîtront leurs enfants à partir de 1843. François est bordier à la Girardière de cette commune. Perrine est tisserand.
Ils ont donc monté d’un degré dans la hiérarchie sociale.
Il faut dire que cette époque est bonne pour la petite paysannerie : certains ont pu acheter et regrouper quelques terres en marge des grosses propriétés. La jachère a fait place à la culture dans de nombreuses régions. Les derniers genêts seront arrachés, semble-t-il, vers 1850. Les foires aux bestiaux de CHOLET et de CHEMILLE sont prospères, la culture du blé se développe. Un riche propriétaire des DEUX-SEVRES, Jacques BUJAULT, va engager une action de développement de l’agriculture : il répand l’usage de la charrue, il rédige des écrits, il édite un Almanach du cultivateur, il prodigue des conseils aux agriculteurs, il met au point des machines nouvelles... C’est un Conseiller agricole avant l’heure en somme !
Pendant ce temps, une véritable révolution sourd de nouveau, qui n’a rien à voir avec celle de 1789 : les commerçants et les petits bourgeois, libérés des carcans de la féodalité et utilisant les premiers développements de la mécanique, créent des ateliers de production, des manufactures.
Dès 1830, la révolution industrielle est en germe. Dans les villes, se développent les usines de tissage, de confection, les verreries, les tanneries, les papeteries. Des machines sont installées les hommes et les femmes quittent leurs lopins de terre pour aller travailler de 12 à 16 heures par jour, 6 jours la semaine, sans vacances. Les enfants travaillent dès 10 ans, des journées entières. Les accidents du travail sont très fréquents et sans recours : on ne compte pas les mains coupées, les maladies professionnelles dues aux conditions de travail épouvantables.
En 1848, les ouvriers se révoltent à PARIS et aussi dans de nombreuses villes de province. Ils sont réprimés dans le sang.
Le capitalisme industriel est bien né. Le socialisme en contrepoids, pointe son nez et essaie de définir des conditions d’une meilleure justice sociale. Les premières coopératives ouvrières de production sont créées, mais leurs militants sont massacrés par le ministre de Napoléon III. Fourier, Proud’hon, Louis Blanc sont les premiers socialistes, Karl Marx met au point sa philosophie qui deviendra le communisme.
L’agriculture ne se fiche pas mal de cet immense bouleversement qui se prépare. Elle n’est sans doute pas riche, mais elle connaît une ère de développement incontestable, galvanisée par la reconnaissance de la propriété individuelle et le nouveau code civil de Napoléon qui lui convient si bien. Chaque petit paysan veut agrandir son petit lopin de terre, à chaque génération, on partage entre les enfants, on plante des haies, et ainsi le bocage vendéen prend son visage.
Que d’évolution en quelques siècles : en 1700 c’était encore la lande et les genêts, en 1850, on finit de défricher et on fait des parcelles, en 1950 on pratiquera le remembrement...
Quelle surface François GODREAU cultive-t-il à REAUMUR ? Le temps me manque pour faire cette recherche, en supposant qu’elle soit possible ! Bordier, dit le registre.
Sa femme est tisserand. Ce métier était fort répandu, car on cultivait encore du lin et du chanvre dans les fermes du haut bocage vendéen. Les tisserands travaillaient à la maison. Sans doute vendaient-ils une part de leur fabrication, mais une enquête demandée au Préfet de la Vendée vers 1860 indique que sur 800 tisserands exerçant dans cette région, la moitié ne travaille que pour ses besoins propres, c’est-à-dire fabrique des piles de draps qui orneront les armoires et que l’on distribuera fièrement aux enfants, à leur mariage.
En fait d’enfants, François et Perrine en auront 7, qui vont naître à REAUMUR, entre 1843 et 1856. Vous verrez dans le tableau ci-joint qu’il y avait du François dans tous les noms ou presque : Jean-François, Marie-Françoise-Pélagie, Marie-Françoise, François-Pierre... Sans doute cela s’explique-t-il par le souci de conserver le nom du père pour la postérité, même si des enfants meurent jeunes. Les mortalités infantiles sont encore très nombreuses.
Il faut dire aussi qu’on n’est pas difficile sur l’appellation courante : on appellera souvent l’enfant, puis l’adulte, de son deuxième nom. Ainsi, le fils de François, François-Pierre, né en 1856, s’appellera-t-il plutôt Pierre, jusqu’à sa mort en 1920.
L’an prochain, nous ferons connaissance avec François-Pierre et nous suivrons la vie de la famille Godreau dans la seconde moitié du 19ème siècle, en Vendée.